Fondations d'entreprise, d'une pierre deux coups !

Grandeur d'âme et intérêts bien compris n'ont rien d'incompatibles

 

Les fondations, nées dans les années 90, ont encore du mal à se développer en France. Les raisons principales sont à chercher dans la culture du pays, mais aussi dans les difficultés administratives supposées à leur création. Pourtant, les fondations apparaissent toujours davantage comme un outil de communication de choix, tout autant que comme un moyen de montrer au grand jour son engagement philanthropique. Encore faut-il trouver la bonne cause et choisir la structure la plus adaptée. Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (Admical). Responsabilité sociale des entreprises (RSE). Fondations reconnues d'utilité publique (Frup). Mécénat de compétences.

Alors que le mécénat est très développé en Grande-Bretagne, en Espagne ou aux Etats-Unis, la France se situe plutôt en queue de peloton. Complications administratives, esprit moins “philanthrope”…, les raisons sont nombreuses. Mais la donne commence à évoluer. Contrairement aux idées reçues, plus de 70 % des entreprises mécènes sont des PME. Si elles ne possèdent pas de fondations, elles sont membres de clubs. Une alternative citoyenne intéressante, qui permet à des entreprises de se lier pour soutenir des projets de proximité. Souvent, la démarche est d'autant plus sincère que ces sociétés ne bénéficient pas d'un retour direct en termes d'image puisqu'elles sont plusieurs à s'impliquer.

Parmi les entreprises qui franchissent le pas et créent leur fondation, beaucoup faisaient déjà du mécénat en donnant de l'argent directement à des associations pour servir des causes reconnues d'utilité publique. Pourquoi, dès lors, monter ce type de structure et ne pas s'en tenir à des dons ponctuels ? D'autant qu'il est très difficile de mesurer les avantages que présente une fondation.

Réflexion sur les valeurs
Pour Stéphane Godlewski, consultant spécialisé dans le mécénat, “cette initiative permet à une entreprise d'institutionnaliser son engagement et de l'inscrire dans une action pérenne. Une fondation est une structure identifiable valorisante pour les équipes. Enfin, cela oblige les entreprises à une réflexion profonde sur ses valeurs.” Il explique qu'aujourd'hui, le mécénat est très lié à la RSE. Il s'inscrit donc dans une réflexion globale sur la dimension éthique, et s'assortit d'une action générale sur le respect des chartes et la maîtrise des risques.

La loi française relative aux associations et aux fondations votée le 1er août 2003 a d'ailleurs donné une impulsion nouvelle au mécénat en doublant l'encouragement fiscal pour les entreprises. Monter une fondation est désormais assez facile. Il suffit d'obtenir une autorisation préfectorale, d'élaborer des statuts et de s'engager à faire vivre la fondation pendant une durée minimum de 5 ans. Les fonds doivent être affectés à des causes d'intérêt général.

Dominique Lemaistre, directrice du mécénat à la Fondation de France, souligne que “le paysage législatif a beaucoup évolué ces dernières années. Créer une fondation, c'est faire la distinction entre ce qui relève de la RSE et quelque chose d'un peu plus gratuit. La fondation permet de mettre une frontière entre ce que les entreprises font au titre de leurs obligations et le mécénat. Or elles cherchent précisément à s'illustrer en dehors du business.”

Le combat d'Admical Carrefour du mécénat d'entreprise, présidé aujourd'hui par Olivier Tcherniak, a également beaucoup joué dans le développement du mécénat d'entreprise. “Nous conseillons les entreprises qui souhaitent créer une fondation sur la solution la plus adaptée en fonction de leur profil. Nous proposons également des formations aux personnes en charge du mécénat, ainsi que des ouvrages pratiques, un magazine et diverses publications qui s'adressent aux professionnels du mécénat. Nous accompagnons nos adhérents sur les questions juridiques, mais aussi stratégiques, car il faut pouvoir trouver une cause juste et authentique, vraiment en résonance avec les missions de l'entreprise. Les services que nous offrons sont mutualisés et reposent aussi beaucoup sur un échange de bonnes pratiques entre nos membres, qui sont aujourd'hui au nombre de 180”, souligne Bénédicte Menanteau, déléguée générale de l'Admical. Des membres qui paient une cotisation de 3 400 euros par an pour ces services auxquels s'ajoutent informations, revue de presse… Et d'ajouter : “S'il y a un projet bien pensé, cela peut mettre environ 6 mois. C'est un outil très souple.”

Fierté d'appartenance
Les bénéfices se font sentir également en interne puisqu'une fondation génère souvent une fierté d'appartenance, une plus forte mobilisation des salariés, en bref, de la cohésion sociale. Au sein de la fondation SNCF, par exemple, l'implication des cheminots est un enjeu important. Ainsi, ils sont très fréquemment associés aux choix des actions mises en place dans le cadre de la fondation. Chez BNP Paribas, les appels à projets sont également largement tournés vers le personnel.

L'autre façon de faire participer les salariés réside dans le mécénat de compétences. “Des ingénieurs spécialisés, par exemple, vont mettre leur expertise au service d'une association. C'est l'entreprise qui paie pour offrir le savoir-faire de sa matière grise”, explique Stéphane Godlewski. La loi a beaucoup encouragé le mécénat de compétences en autorisant sa déductibilité. L'entreprise peut en effet déduire de ses impôts la valorisation du temps passé par ses employés sur telle ou telle mission.

“Les fondations sont souvent conçues comme un outil de communication interne. Et cela s'est accentué avec la logique de RSE. Les entreprises cherchent une cohérence entre le mécénat extérieur et ce qui se passe en interne”, confirme Dominique Lemaistre. Autrement dit, il est certes louable d'investir les deniers de l'entreprise pour lutter contre la pauvreté dans le monde, mais il faut d'abord balayer devant sa propre porte. D'où la volonté d'impliquer les salariés.

Philippe-Michel Thibault, co-auteur d'un ouvrage sur la démocratie sociale paru aux éditions Jean-Jaurès, raconte que Jean-Cyril Spinetta a très largement contribué à relancer la fondation Air France, aujourd'hui dirigée par François Brousse : “Il a toujours voulu faire bouger le cours des choses. La fondation a pour vocation de lutter contre le tourisme sexuel mais aussi de sortir des enfants de la surdité. C'est l'occasion de renforcer la culture de l'entreprise et de montrer aux salariés qu'il n'y a pas que le business mais aussi un volet social.”

Volonté d'un homme
Les fondations d'entreprise sont la plupart du temps le fait de patrons auxquels ce type de projets tient à cœur. Catherine Tsekenis reconnaît ainsi que l'arrivée de Pierre-Alexis Dumas a permis la création de la fondation d'entreprise Hermès qu'elle dirige et qui existe depuis trois ans : “Il fallait passer à quelque chose de plus formalisé en termes d'objectifs. Nous soutenons notamment les savoir-faire artisanaux et locaux. Nous avons dégagé plus de 18 millions d'euros sur cinq ans pour la fondation et avons beaucoup développé les axes de la solidarité, de l'éducation et de la biodiversité.” A ses yeux, une fondation alimente forcément l'image d'une entreprise, même si c'est moins indispensable quand elle a déjà une réputation très ancrée : “Si nous mettons en place des projets intéressants, cela nourrit forcément l'aura de l'entreprise.” D'ailleurs, la fondation Hermès ne dépend pas du département communication, elle existe de fait comme une entité à part entière. “Nous sommes une entité juridique autonome, avec notre propre logo et notre propre compte en banque”, précise-t-elle.

Michel Bernardeau, président de la célèbre entreprise de porcelaine qui porte son nom, raconte quant à lui : “Nous faisions de la fondation d'entreprise sans le savoir, un peu comme M. Jourdain. Puis j'ai tenu à institutionnaliser notre démarche et à ancrer encore plus le lien entre le monde de la création et notre entreprise. Lorsque nous accueillons des artistes en résidence, ils travaillent avec l'ensemble des collaborateurs. Revaloriser le travail manuel est un enjeu important.”

Positionnement stratégique
Pour Stéphane Godlewski, “ce qui est compliqué, ce ne sont pas les démarches juridiques et fiscales nécessaires à la création d'une fondation, surtout dès lors qu'on fait appel à des spécialistes et qui maîtrisent à la perfection la façon de procéder. Le plus difficile, c'est de trouver la bonne stratégie en lien avec son identité”. C'est la raison pour laquelle il aide les entreprises à mener un travail de réflexion sur leurs valeurs et leurs objectifs. Par exemple, France Télécom, qui cherchait à acquérir une image plus chaleureuse, en lien avec ses missions, a compris que la voix était une valeur clé. C'est pourquoi la fondation Orange s'occupe de musique vocale et d'autisme.

“Le mécénat part d'une réflexion stratégique pour savoir comment traduire son identité par des actions concrètes qui incarnent les valeurs de l'entreprise. La plupart des fondations sont en lien avec l'activité des sociétés, qui projettent leur activité dans une mission d'intérêt général et subventionnent des projets en lien avec leur positionnement”, poursuit Stéphane Godlewski. Mustela s'investit ainsi dans le domaine l'enfance. RATP dans l'environnement urbain. Auchan aide à l'insertion des jeunes des cités. Danone a choisi le secteur de la nutrition. Reste ensuite à choisir le bon statut…

Statut ad hoc
Pour structurer son mécénat, il existe différentes possibilités. La “fondation d'entreprise”, instituée par la loi du 4 juillet 1990, représente le cas le plus répandu. C'est une personne morale à but non lucratif pouvant être créée par des sociétés civiles ou commerciales, des établissements publics à caractère industriel et commercial, des coopératives, des organismes de prévoyance et des mutuelles. La société s'engage à verser un montant minimum de 150 000 euros répartis sur cinq ans, puisé dans les fonds propres de l'entreprise. Les salariés peuvent offrir une participation financière, mais les dons de personnes extérieures sont interdits. Bénédicte Menanteau rappelle que “sur près de 400 fondations créées par des entreprises, plus des deux tiers ont le statut de fondation d'entreprise, avec leur mode de gestion autonome”. Les versements effectués par les entreprises au profit de leur fondation donnent lieu à une déduction fiscale égale à 60 % du montant du don, dans la limite de 0,5 % du chiffre d'affaires hors-taxes de l'entreprise (loi Aillagon du 1er août 2003).

Mais les entreprises peuvent aussi monter leur structure de mécénat sous l'égide d'organismes habilités (Fondation d'Auteuil, Institut de France...). Elles ont alors recours à ce qu'on appelle communément une fondation dite “abritante”. La plus connue est la Fondation de France. “Ces fondations abritées doivent s'engager à verser au minimum 200 000 euros sur cinq ans pour leur mécénat et doivent fournir au minimum 50 % de leur fonds propres pour leurs dépenses. Pour le reste, à l'inverse des fondations d'entreprise, elles peuvent faire appel à la générosité du public”, explique Dominique Lemaistre, directrice du mécénat à la Fondation de France. Et de citer le cas de MacDonald's, qui a installé des urnes dans ses restaurants, pour collecter des fonds afin de financer sa fondation. Cette possibilité de pouvoir recueillir des subventions motive-t-elle une entreprise pour faire le choix d'être “abritée”, plutôt que de fonctionner de manière autonome ? “De manière générale, les entreprises ne recherchent pas tant que cela les aides extérieures car cela les oblige à rendre des comptes”, tempère Dominique Lemaistre. En revanche, elles sont souvent désireuses d'être délestées des contraintes de gestion, puisque c'est la fondation abritante qui prend en charge la partie administrative et juridique. “Venir chez nous, c'est choisir un opérateur très spécialisé et accélérer la prise en main de l'outil de mécénat. On alerte les entreprises sur ce qui est conforme ou pas à la législation. Ce type de monitoring est très pertinent pour celles, souvent de petite taille, qui ne disposent pas toujours d'équipes dédiées. Mais même de grands groupes, comme BNP Paribas ou Schneider, font appel à nous. Nous proposons des prestations à la carte et accompagnons ceux qui le souhaitent sur la réflexion stratégique”, souligne Dominique Lemaistre. Concrètement, les entreprises apportent les fonds et donnent à la fondation abritante des ordres de financement. Des services qui ne sont bien évidemment pas gratuits. A la Fondation de France, la couverture des charges est prélevée selon un barème qui correspond environ à 3 % de leurs dépenses.

Plus rarement, les entreprises choisissent de monter des Frup (fondations reconnues d'utilité publique) : fondations de recherche, fondations de coopération scientifique, fondations universitaires ou fondations partenariales. Autre cas de figure : les fonds de dotation. A titre d'exemple, les papiers Canson investissent dans l'art contemporain par le biais d'un fonds de dotation. L'intérêt de cette formule, c'est que, comme dans le cas des fondations “abritées”, elle permet aux entreprises de percevoir des fonds extérieurs.

Enfin, il existe un cas un peu à part : les fondations “personnelles” comme celle de François Pinault. “C'est une démarche que l'on verra de plus en plus avec l'essor d'une nouvelle génération de philanthropes qui veulent donner un sens à leur réussite et soutiennent un projet qui leur est propre, et leur tient à cœur”, estime Stephane Godlewski. Autre tendance : les entreprises de taille moyenne créent de plus en plus leur fondation. Jusqu'à présent, elles ne se percevaient pas comme des mécènes. Dans de rares cas, elles se regroupent, comme le montre l'exemple de la fondation Mécène et Loire qui rassemble 24 PME de la région angevine avec des profils variés. Cette structure de mécénat poursuit son action malgré la crise. La dernière enquête Admical/CSA pour l'année 2010 a en effet révélé que le budget global du mécénat était en chute de 20 % par rapport à 2008.

Nombreuses sont les entreprises qui s'illustrent dans le domaine de l'environnement. “Le social et la santé ont également le vent en poupe, alors que le domaine culturel était une tendance historique. C'est révélateur d'une société où la culture trouve moins sa place”, regrette Bénédicte Menanteau. Enfin Dominique Lemaistre observe que “les entreprises font du mécénat à l'échelle internationale dans toutes leurs filiales”. Sur ces sujets-là également, l'heure est à la mondialisation.
 

Par Ariane Warlin

Publié le 11/05/2011 - Le Nouvel Economiste.fr