Les fondations, entre progrès social et innovation économique

Portées par la générosité des Français, le nombre de fondations explose en France. Ces structures apparaissent comme de véritables laboratoires d'expériences économiques et sociales.

Généreux par milliards. Selon, une récente étude de l'Observatoire de la philanthropie, les Français, particuliers (dons) ou entreprises (mécénat), ont donné 7,5 milliards d'euros en 2015. Dans une société où les inégalités s'accroissent et où de nouveau modèles économiques émergent, les fondations philanthropiques ont la cote. En France, la création de fondations a bondi de 40 % en à peine dix ans. Ailleurs dans le monde, la tendance est aussi à la hausse.

Il est d'ailleurs difficile de parler des « fondations » en général tant leur statut est différent en fonction de leur localisation géographique et de leur champ d'activité. En France par exemple, pas moins de huit structures juridiques désignent des fonds ou fondations qui ont pour seul but l'intérêt général. Les fondations reconnues d'utilité publique, les fondations abritées, les fondations d'entreprises ou encore les fonds de dotation étant les plus communes.

Soutien aux projets

Le grand public a en tête ces paquebots majestueux au nom de grandes marques, posés au coeur des villes, présentant souvent des collections d'art moderne ou contemporain.

On entend moins parler des autres fondations, aux noms tout aussi connus mais qui agissent plutôt dans le soutien aux projets de santé, éducation, développement économique, etc.

Et l'on ne sait pas non plus que certaines fondations sont si puissantes financièrement que de grandes institutions mondiales présentent deux types de statistiques dans l'aide au développement : avec et sans l'apport de ces fondations. C'est le cas par exemple dela Fondation Bill et Melinda Gateset ses 4,5 milliards de dollars de dotation, soit un budget plus important que l'Organisation mondiale de la santé !

Mission d'intérêt général

La philanthropie classique, incarnée par la figure d'un multimillionnaire donnant à des bonnes oeuvres, tend donc à se modifier et se professionnaliser. Si bien que la figure du mécène n'est pas près de disparaître, les fonds de dotation et fondations d'entreprises sont redécouverts, et se réinventent.

Porteuses de sens auprès des salariés comme auprès du grand public, mobilisatrices, vecteur pertinent de redistribution de l'argent (tout en défiscalisant !), ces structures ont tout pour plaire. Mais leur impact va aujourd'hui bien au-delà. De simples « financeuses », les fondations aujourd'hui apparaissent comme véritables laboratoires d'expériences économiques et sociales.

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Portées par leur mission d'intérêt général, et sans lien direct avec le business de leur entreprise-mère, elles initient ou accompagnent des projets nouveaux, que des financeurs traditionnels n'auraient pas forcément soutenus (nouvelles formes de chantiers d'insertion ou de formation professionnelle, nouvelles mobilités, expérimentations culturelles, recherche fondamentale, recherches-actions, études...).

Elles repensent aussi leur manière d'accompagner leurs bénéficiaires et réfléchissent à de nouvelles modalités de partenariats (en termes de sélection, d'accompagnement et d'évaluation de projets par exemple).

En ce sens, n'est-ce pas cette évolution qui incite la France à vouloir doter les entreprises d'une « mission " autre que le profit ? Le débat des « entreprises à mission ", lancé récemment par le gouvernement, bouscule la définition légale et sociale d'une entreprise et promet de nouvelles et nombreuses réflexions sur le sujet.

Impact social

Tenue par un cadre juridique strict et bien souvent des procédures internes méticuleuses, la prise de risque est encadrée dans une fondation mais plus libre qu'au sein d'une entreprise où investissement doit être synonyme de rentabilité. L'explosion de la création des fonds de dotation (ils ont doublé ces cinq dernières années) est révélatrice de ce changement de perception : l'investissement est synonyme non plus de rentabilité économique mais d'impact social.

Portés par l'intérêt général, ces fonds et fondations peuvent ainsi plus facilement financer des projets basés sur de nouveaux modèles économiques (économie sociale et solidaire, économie collaborative, économie circulaire, partenariats publics/privés repensés...) et participent donc du renouvellement des modes de consommation et d'action.

Surtout, les fondations et fonds peuvent se permettre d'investir des champs sous-financés au niveau mondial comme l'égalité femmes-hommes ou la lutte contre le changement climatique. Deux secteurs essentiels au progrès social et pourtant non considérés aujourd'hui comme prioritaires.

Si l'investissement financier reste un critère important dans toute transformation sociale et économique, les fonds et fondations ouvrent néanmoins la voie à de nouvelles explorations et à de nouveaux modèles. De pourvoyeuses de fonds à actrices du changement social, elles réinventent leur rôle et leur positionnement. L'innovation en somme.

Thibault Di Maria est intervenant dans le mastère spécialisé Celsa Entreprendre (Sorbonne université). Il est responsable de la communication et des programmes art et culture dans une fondation.

https://www.lesechos.fr/28/08/2018/lesechos.fr/0302172350464_les-fondations--entre-progres-social-et-innovation-economique.htm